enjeux cliniques de l'utilisation du cheval dans la rééducation
Les enjeux cliniques reliés à l’utilisation du cheval en rééducation neuromotrice

L’utilisation du cheval en rééducation neuromotrice

Les approches utilisant le cheval à des fins de rééducation neuromotrice prennent actuellement de l’ampleur à travers le monde (Mainville, 2014). Diverses terminologies sont encore employées pour parler de cette forme de rééducation utilisée par les kinésithérapeutes/physiothérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes et orthophonistes. En effet, on retrouve les termes équithérapie, équitation thérapeutique, hippothérapie, hippothérapie-k, hippo-kinésithérapie, etc.,  selon les régions et les pays.

Le terme hippothérapie réfère à la façon dont les physiothérapeutes, les ergothérapeutes et les orthophonistes utilisent une pratique fondée sur les évidences scientifiques et leur raisonnement clinique pour travailler avec le mouvement spécifique du cheval au niveau des systèmes sensoriels, neuromoteurs et cognitifs pour atteindre des objectifs spécifiques. (American Hippotherapy Association, 2017). Cette stratégie de réadaptation fait partie intégrante d’un traitement de réadaptation visant l’atteinte d’objectifs fonctionnels.

Il est également reconnu que le cheval offre un mouvement tridimensionnel au patient, lequel reproduit le mouvement de marche de l’humain de façon très similaire. Ainsi, lorsque le patient est positionné sur le cheval, il voit son bassin mobilisé de façon passive, comme s’il se déplaçait en marchant.  Il peut ainsi expérimenter divers ajustements posturaux au tronc et à la tête, de même q犀利士
u’améliorer son équilibre, sa conscience corporelle et son contrôle postural. Ajouté à cela, le professionnel de la santé spécifiquement formé peut modifier les paramètres de la marche du cheval, modifier la position du patient sur le cheval ou encore intégrer des exercices spécifiques (exercices oro-moteurs, sensoriels, de motricité fine, visant le développement des praxies, etc.)  pour optimiser l’intervention et l’atteinte des objectifs.

Le cheval, un outil d’intervention thérapeutique efficace

Lorsqu’un professionnel de la santé décide d’utiliser le cheval dans un but de rééducation neuromotrice, il doit préalablement réaliser une analyse des risques et bénéfices. Le but de cette évaluation est de s’assurer que l’hippothérapie est vraiment une modalité de choix pour son patient. Lors de la prise en charge, il est donc fortement recommandé de:

  • Vérifier la présence de contre-indications à l’utilisation du cheval;
  • Procéder à une évaluation exhaustive du patient à l’aide de batteries d’évaluation standardisées et d’observations cliniques;
  • Rédiger un rapport attestant des observations et mesures obtenues;
  • Déterminer des objectifs d’intervention observables et mesurables dans le temps, permettant d’évaluer l’efficacité de l’intervention;
  • Évaluer les chevaux disponibles pour les interventions en termes de conformation et de démarche sans créer d’enjeux cliniques;
  • Déterminer la structure de la séance:
    • Nombre de personnes dans l’équipe: il est recommandé de toujours travailler à trois personnes: le professionnel de la santé (physiothérapeute, ergothérapeute, etc) le professionnel équestre (qui pourra agir à titre de meneur) et l’accompagnateur
    • L’équipement du cheval: longues rênes, licol, tapis, surfaix, types d’étriers, etc.
    • Les exercices à réaliser: directions effectuées par le cheval, tempo du cheval, position du patient à cheval, exercices additionnels.

Ces étapes permettront de s’assurer que l’hippothérapie est une modalité adéquate pour le patient et assurera l’efficacité et la sécurité de l’intervention. En effet, lors d’une séance d’hippothérapie d’une durée de 60 minutes, de 8000 à 10 000 inputs neuromoteurs sont transmis au cavalier. Ce nombre d’inputs neuromoteurs est beaucoup plus élevé que ce que l’on peut souhaiter obtenir par des séances traditionnelles de kinésithérapie. Il devient donc évident, que lorsque bien utilisée, l’hippothérapie peut permettre au patient de progresser rapidement et d’atteindre des objectifs le menant vers un meilleur niveau d’autonomie. À cela, il faut ajouter l’environnement novateur sollicitant la motivation interne et le plaisir chez le patient.

Mais qu’advient-il lorsqu’un patient présentant une lourde condition neuromotrice réalise des séances de rééducation à cheval sans que ces analyses préalables aient été effectuées?

Un professionnel de la santé non formé à l’hippothérapie ou encore un moniteur d’équitation qui désirerait offrir une intervention à une personne présentant des déficits neuromoteurs est à grand risque de causer des enjeux cliniques à son patient. En effet, si les impacts de la démarches du cheval ne sont pas connus, si le cheval n’est pas choisi spécifiquement pour le patient, les inputs neuromoteurs transmis pourront contribuer à maintenir ou aggraver certaines conditions (Mainville, 2014).

Qu’entend-on par enjeux cliniques?

Un enjeu clinique représente une intervention à risque pour un patient, c’est à dire une intervention qui à l’inverse de lui permettre de progresser pourra ralentir ses acquis ou encore nuire à sa rééducation et à son autonomie (Mainville, Briand et Leduc, 2014),

Quelques enjeux cliniques possibles (Mainville, Briand et Leduc, 2014):

  • Maintenir ou accentuer des schèmes spastiques anormaux;
  • Maintenir ou accentuer des réflexes primitifs non fonctionnels;
  • Maintenir des asymétries posturales ou postures compensatoires non fonctionnelles;
  • Maintenir ou accentuer une subluxation de la hanche;
  • Créer des lésions cervicales.

Ces enjeux cliniques apparaissent majoritairement présents chez une clientèle présentant une infirmité motrice cérébrale ou un important retard de développement associé à une condition spécifique: trisomie 21, syndrome génétique, etc. Ces enjeux cliniques sont à risque de survenir lorsque le cheval ne présente pas la démarche qui correspond aux besoins du patient, que les positions adoptées pendant la séance sont inadéquates ou encore que les figures de manèges réalisées contribuent à maintenir ou aggraver certaines conditions.

Afin d’expliciter de façon détaillée ces enjeux cliniques, nous tenterons de répondre aux questions ci-dessous:

  • Quels sont les impacts sur le patient lorsque le cheval ne présente pas une démarche répondant à ses besoins?

La base de l’hippothérapie réside dans le fait de choisir la démarche du cheval qui répondra le mieux aux besoins et objectifs du patient. Ainsi, il importe que le cheval choisi ne maintienne pas le patient dans un patron de marche non fonctionnel ou encourage des compensations.

Pensons par exemple, à un enfant présentant une infirmité motrice cérébrale de type diplégie spastique qui réaliserait ses séances sur un cheval transmettant majoritairement un mouvement latéral. Ce mouvement maintiendrait l’enfant dans son patron de marche peu fonctionnel alors que le but de l’intervention serait davantage de limiter les inclinaisons latérales du bassin et du tronc pendant la marche pour favoriser le développement d’un mouvement d’antéro-version permettant une démarche plus fonctionnelle.

Lors du choix du cheval, il faut également penser à son tempo. Ainsi, un cheval avec une plus grande foulée offrira un tempo moins rapide au patient et sera donc moins exigeant au niveau des ajustements posturaux nécessaires pour maintenir la posture. Un cheval avec une foulée plus courte, aura un tempo plus rapide qui exigera des ajustements plus fréquents et rapides chez le patient. Par ailleurs, la démarche du cheval pourra être souple et cadencée ou encore plus proprioceptive (avec impaction).

Ce type de mouvement pourra avoir pour effet de maintenir ou d’augmenter certains schèmes spastiques ou réflexes primitifs. Prenons pour exemple un enfant présentant une infirmité motrice cérébrale de type quadriparésie spastique qui réaliserait ses séances sur un cheval proprioceptif avec un tempo rapide. La démarche du cheval risquerait alors d’augmenter les schèmes spastiques en extension, les réflexes primitifs et pourrait rendre difficile le contrôle de la tête et, à la limite, causer des lésions cervicales.

Enfin, il importera de s’assurer de la symétrie et de la cadence du pas du cheval. En effet, il n’est pas rare que les centres ou écuries à caractère thérapeutique se fassent offrir des chevaux retraités ou encore ayant subi des blessures. Ces chevaux présenteront souvent une boiterie régulière ou intermittente ce qui provoquera une transmission d’inputs neuromoteurs irréguliers pouvant avoir un impact sur les schèmes spastiques ou la posture du patient. Pensons notamment à une personne hémiplégique qui serait positionnée sur un cheval grandement dissymétrique. Cette personne pourrait alors maintenir la dissymétrie de sa posture en raison des nombreux inputs neuromoteurs inadéquats transmis pendant ses séances de rééducation.

  • Quels sont les impacts sur le patient lorsque le pas du cheval n’est pas modulé selon ses besoins ou lorsqu’il réalise des figures de manège modifiant son pas?

Suite à l’évaluation du patient, un plan d’intervention comprenant les modalités d’intervention devra être rédigé. Ce plan comprendra les allures souhaitées chez le cheval de même que les figures qui seront réalisées. Puisque l’allure du cheval modifie le mouvement et le nombre de stimulations neuromotrices transmises, il importe de bien la préciser.

Par ailleurs, les différentes figures de manège auront pour effet d’augmenter la transmission de certaines stimulations au profit de d’autres. Ainsi, le cheval réalisant des transitions d’allures (variations de vitesse du pas, arrêt-départ, etc.) induira des mouvements d’antéroversion et de rétroversion au bassin du cavalier. Un cheval réalisant des mouvements tel des slaloms, serpentines et cercles induira des mouvements d’inclinaison latérale au bassin et au tronc du cavalier. Enfin, le cheval pourra ainsi induire des mouvements de rotation de par les caractéristiques de sa démarche et lorsqu’il réalisera des pas de côté ou encore lors du recul.

Dans ce contexte, si l’analyse de l’impact des figures de manège sur le mouvement transmis n’est pas réalisé adéquatement, certaines patientèles seront à risque de travailler dans des plans maintenant certaines compensations posturales, ajustements posturaux exagérés ou inefficaces ou particularités dans leur patron de marche.

  • Quels sont les impacts sur le patient si la conformation du cheval ne répond pas à ses besoins?

La conformation du cheval fait partie des essentiels à analyser lors de la pratique de l’hippothérapie. En effet, cette analyse permettra tout d’abord de s’assurer que le cheval a les qualités nécessaires à un cheval d’hippothérapie. A-t-il un dos porteur lui permettant de bien supporter les patients? Ses aplombs lui permettent-ils de développer et maintenir une démarche souple et cadencée? Est-ce un cheval qui se tient davantage sur l’avant-main et qui devra, lors de l’entraînement, apprendre à basculer son poids pour pouvoir offrir une démarche avec une meilleure impulsion? Etc.

Par la suite, il importera d’analyser le gabarit du cheval en fonction des amplitudes articulaires du patient tant au niveau des membres inférieurs que des mouvements possibles au bassin. Ainsi, un cheval présentant une trop longue foulée pourra provoquer des fixations et compensations chez un patient ne pouvant accommoder le mouvement avec son bassin. Pensons également à un patient présentant une subluxation de la hanche et un manque de contrôle postural au tronc qui serait positionné sur un cheval très étroit.

Il est possible que ce patient adopte alors une posture en rotation interne et adduction aux membres inférieurs, posture à éviter dans le contexte de subluxation. Le même scénario pourrait être observé par l’utilisation d’un cheval trop large chez un patient présentant de la spasticité aux membres inférieurs. Ce patient aura alors tendance à compenser par une posture avec un bassin en rétroversion, un enroulement des épaules et des membres inférieurs en adduction et rotation interne. La même situation se produirait si cet enfant réalisait ses séances en position latérale (position où l’enfant est assis de côté avec les 2 membres inférieurs du même côté) sans coussin de positionnement entre ses membres inférieurs. Il va s’en dire que l’utilisation du cheval dans ce contexte risquerait de contribuer à l’aggravation de la condition initiale du patient.

Les contre-indications à l’hippothérapie

En plus des enjeux cliniques discutés ci-haut, il importe de considérer les contre-indications à l’hippothérapie déjà relevées (American Hippotherapy Association, 2017, traduction libre).

  1. Hernie discale en phase aigüe avec ou sans compression nerveuse;
  2. Malformation de chiari II avec symptômes neurologiques;
  3. Instabilité C1-C2 (trisomie 21, arthrite rhumatoïde juvénile) – cette condition nécessitera une confirmation par radiologie de la stabilité;
  4. Arthrose de l’articulation coxo-fémorale – la position assise sur un cheval crée un grand stress sur l’articulation;
  5. Trisomie 21 (plus jeune que 2 ans) – la confirmation de la stabilité C1-C2 étant souvent impossible;
  6. Épilepsie non contrôlée;
  7. Hémophilie (avec une histoire récente de saignement);
  8. Cathéters périduraux;
  9. Arthrite rhumatoïde, sclérose en plaques en phase aigüe;
  10. Plaies ouvertes;
  11. Fractures pathologiques (ostéoporose sévère, tumeur osseuse, etc.);
  12. Myéloméningocèle.
  13.  Instabilité spinale.
  14. Scoliose de plus de 30 degrés.

Enfin, il importe de considérer le poids du patient, son équilibre assis. En effet, pour que l’hippothérapie soit la plus bénéfique possible au niveau de la transmission du mouvement du cheval, il sera souhaité d’éviter l’utilisation de selles limitant la transmission du mouvement.  Plusieurs types de selles et d’équipement ont vu le jour dernièrement et sont d’une grande aide dans un contexte d’équitation adaptée.

Elles ne le sont toutefois pas dans un contexte d’hippothérapie. En effet, si une rééducation neuromotrice est souhaitée, on visera le travail sur un tapis lequel permettra la transmission du mouvement et de la chaleur du cheval. Il va s’en dire que les patientèles avec d’importantes lacunes au niveau du contrôle du tronc et de la tête et celles n’ayant pas de capacités à maintenir la position assise sans support ne bénéficieront pas nécessairement d’une approche d’hippothérapie.

Conclusion

 En conclusion, l’utilisation du cheval en rééducation neuromotrice offre aux patients une façon différente et surtout très efficace de travailler sur des objectifs neuromoteurs. Cette approche, déjà bien documentée dans la littérature scientifique, permet l’atteinte d’objectifs fonctionnels facilement généralisable aux activités de la vie quotidienne. Pour assurer le succès de l’approche, il importe toutefois de mettre en place un cadre rigoureux composé initialement d’évaluations standardisées et d’un plan d’intervention spécifique pour chaque patient. Par ailleurs, ce type d’intervention ne devrait être réalisée que par des professionnels de la santé qualifiés et formés à l’hippothérapie (ergothérapeute, physiothérapeute, orthophoniste,etc) travaillant avec une équipe complète (meneur, accompagnateur), des chevaux spécifiquement entraînés, et ce, pour éviter la présence d’enjeux cliniques et favoriser l’atteinte d’objectifs permettant aux patients d’acquérir le niveau d’autonomie souhaité.

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Auteure: Carolyne Mainville, M.Sc, ergothérapeute

 

 

 

Bibliographie

  • American Hippotherapy Association, Inc. (2006), Hippotherapy Treatment Principles Level One, Introductory Course,Workshop Manual, 1st Edition
  • American Hippotherapy Association, Inc. (2008), Hippotherapy Treatment Principles Level Two, Clinical Problem Solving,Workshop Manual, 1st Edition
  • American Hippotherapy Association, Inc. (2008), Equine Skills Level Two, Workshop Manual, 1st Edition
  • Mainville, C., Briand, C., Leduc, N. (2014), Modélisation et analyse des interventions utilisant le cheval à des fins de réadaptation, Université de Montréal, mémoire de maîtrise.L